Je n'avais même pas de culotte propre, et même pas de bouquin, quand je suis arrivée à l'hôpital. Et pourtant, j'ai passé le cap. Et je ne m'en tire pas si mal. La vie trouve toujours le moyen.
On me l'aurait offert pour Noël que j'aurais crié au scandale. Mais non, c'est moi toute seule avec mon propre argent qui me le suis payé comme une grande: mon calendrier 2009! Et comme je ne manque ni de sens esthétique, ni d'humour, j'ai opté pour - de quoi me rappeler chaque jour la raison ontologique de l'existence humaine - le vélo! |
J'apprends ce soir que mon frère a déplacé tout son programme pendant cette première semaine d'hôpital... et c'est vrai qu'il est venu souvent me voir, m'apportant chaque jour une nouvelle petite pâtisserie pour me remonter le moral – aussi bas que le taux de glucose dans mon sang à cette époque il faut le dire (si on se rappelle, c'était l'époque où je ne mangeais pas, faute de trouver appétit et bonheur dans le programme des menus du CHUV...)
Considérant ces derniers mois écoulés, je me dis que c'est vrai, de l'eau a coulé sous les ponts. Et pourtant ce genou continue d'occuper autant d'espace. Enfin, peut-être pas, c'est vrai que je suis chaque semaine plus libre de mes mouvements. Mais les semaines sont toujours aussi longues et l'évolution pas des plus rapides.
Mais qu'importe. Depuis trois jours, je marche. Pas très bien, pas très loin. Mais je peux me tenir sur mes deux pieds et faire comme si j'avançais.
Quand je vais en ville, que je prends le bus, qu'il y a du monde, je marche à nouveau à cloche-pied et je mérite alors ma place assise. C'est là que je mesure le chemin parcouru. C'est dingue comme on s'habitue vite. Et qu'on oublie, encore plus vite.
Des nouvelles de mon corps, donc. Il y a quelques mois, cyborgisation de cette petite enveloppe fragile que je croyais de fer et qui s'est révélée moins incassable que prévu à l'usage. Presque dix centimètres de fer dans le genou et quelques vis pour tenir le tout, treize semaines plus tard aujourd'hui et aujourd'hui... je marche. Enfin, théoriquement, je marche. Car dans la réalité j'en suis bien incapable - pas de force, pas d'équilibre, un cruel défaut d'huile dans les rouages... Mais le moteur est solide et la mécanique le sera aussi, s'il plaît à Dieu.
Je n'en suis pas moins un warrior. Parce qu'il en faut aussi pour dépasser. Dépasser la douleur, dépasser l'échec, dépasser la frustration jour après jour de ce à quoi il faut renoncer faute de... Mais de toutes - oui de toutes - la chose la plus difficile est le deuil. Le lâcher-prise, le laisser-tomber. Boro baba.
Aller de l'avant quand même.
Interdire au découragement de prendre le dessus.
Tant d'efforts et si peu de résultats, je m'en fous, je suis un warrior. Je me bats chaque jour - je ne gagne pas toujours mais je me bats. Contre moi. Je me fais mal et j'aime ça. Parce que le combat fatigue et c'est quand le corps crie qu'il progresse.
Dans trois mois je danse. Au bord de la nuit je m'élonge, je me tords, je danse. Pas besoin de deux jambes pour ça même si c'est mieux. Equilibre, force, souplesse.
Et oui, ce corps je l'aime! Je l'aime parce qu'il est beau, parce qu'il fait des efforts, parce qu'il me donne ce que je lui demande. A force. Fibre après fibre les muscles se délient, se déroulent...
Est-ce que les journées où l'on est trop fatiguée ou trop à côté de la plaque pour y comprendre quoi que ce soit ont le droit de compter pour beurre? (si toi aussi tu es trop fatigué ou à côté de la plaque, va tout de suite faire une sieste au lieu de lire ces bêtises!!!!)
Il y a des jours comme ça, un peu plus ces derniers temps, où l'on voudrait.... simplement tout faire autrement. C'est juste qu'on n'en est pas capable. Il y a des choses qui nous dépassent.
Parce qu'il est une autre grande loi de l'univers, celle qui dit que tout doit toujours arriver en même temps. C'est un peu comme un meuble IKEA. T'as tout en main, mais il te manque le mode d'emploi. Ou alors juste, tu ne le comprends pas.
Et quand tout arrive en même temps, on regrette toujours de ne pas s'être un minimum préparé... avant. Alors c'est bien dans ces moments "d'avant", de creux, qu'il vaut la peine de faire un peu de rangement.
Et ces jours j'ai la rage du tri. Ca ne s'explique pas, c'est comme ça. Alors que ça fait des mois que je me démène de longues plages de journées pour garder à peu près le fil et ne pas me laisser submerger (pas facile, quand on n'a pas de mains, de garder les choses à la fois accessibles et dans un semblant d'ordre...)
J'ai toujours aimé trier. L'impression que ça fait quand on se dit "tout ça de moins à faire". L'impression de regagner un semblant de contrôle. C'est bête et ça peut paraître un peu obsessionnel mais psychologies.com le dit bien. Ranger un bon coup, se débarasser de ce qui est devenu superflu, c'est comme un bon coup d'air frais dans sa vie.
Et comme en ce moment c'est plutôt n'importe quoi, un peu de rangement ne peut que m'aider à y voir plus clair. Ou au pire – puisque je m'affirme prête à mourir demain – à éviter à ceux qui se trouveraient en charge de débarasser mes affaires à ce moment, de longues heures de labeur fastidieux.
Et la bonne nouvelle, c'est qu'il n'y a pas que moi. C'est peut-être un élan général en fait! Ma mère chez qui j'habite depuis ma sortie de l'hôpital, accueille dès demain 2 amies pour une dizaine de jours à la maison; du coup, elle prépare leur chambre, un peu chaque jour, depuis presque 2 semaines. Et vas-y que je jette ça, et vas-y que je déplace ça......... Une bonne séance d'épuration!
Et puis mon autre coloc' N* qui a fait un grand coup de ménage dans sa garde-robe hier soir... Tout cela fait que je me sens un peu en reste.
Mais de toute façon je m'en fous! Moi, je trie... ma vie! Parce qu'il y a toujours des choses qu'on remet à plus tard.... typiquement: les bouquins. Empruntés, achetés ou reçus pour Noël, j'ai toujours des milliers de lectures en cours et des milliards de "presque" en cours.... depuis des années..... et peut-être jusqu'à ma mort, qui sait? (surtout si elle survient demain) :-)
Alors je lis. Un peu chaque jour. Et ça avance! Pas vite mais bon. Et puis c'est vrai que pendant les études, j'avais trop à lire pour les cours pour avoir envie de m'amuser avec des frivolités..... Et puis ensuite, le travail... puis l'Afrique......... Et puis quand même, à l'hôpital non plus c'était pas trop facile............................ de s'y mettre! :-)
Mais bon, là je lis. Un peu. De temps en temps. Au réveil quand j'arrive pas à me lever. Tous les matins pendant deux heures quoi.
Depuis quelques semaines, attendre le bus est une de mes occupations récurrentes les plus tenaces... Et c'est vrai que c'est une activité en soi. Déjà, parce qu'on ne sait jamais vraiment quand il arrive (un arrêt sur cinq étant mentionné sur l'horaire, on attend à vue...) Mais surtout, parce que peu importe à quelle heure il arrive, on l'attend toujours des heures.
Alors on s'occupe.
D'abord, on écoute. Des vieilles, des nouvelles, des vieilles qu'on n'avait jamais écoutées ou des nouvelles qu'on se promet aussitôt de ne plus jamais écouter, des chansons quoi. Des suites de chansons plutôt, comme des colliers qu'on se passe au cou pour quelques jours, le temps de se persuader qu'on les a un peu cernés, un peu compris, suffisamment absorbés pour que l'excitation du début puisse faire place au plaisir des retrouvailles.
Et les semaines se colorent ainsi, l'une après l'autre, en fonction des ambiances qui traversent mes oreilles...
Ensuite, et parce que c'est bien souvent sur le chemin du retour que je me retrouve à poireauter des heures à l'arrêt pour avoir trop discuté avec mon physio, eh bien... Je continue l'entraînement. Parce que je suis lancée. Parce qu'il faut bien s'occuper. Parce que je n'ai aucune estime de moi et que je me fous de ce que les "gens" vont bien penser. Parce que je suis pressée et que je veux marcher vite.